Speeches

The Commemoration of the 50th Anniversary of General Charles de Gaulle's visit to Cambodia (French Version)


50e anniversaire du "discours de Phnom Penh" du Général de Gaulle,

 

Président de la République française

 

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Discours de Son Excellence M. PRAK Sokhonn,

 

Ministre d'Etat, Ministre des Affaires Etrangères et de la Coopération internationale

 

"Charles de Gaulle, un visionnaire"

 

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-Excellences, -Chers Collègues membres du Gouvernement Royal du Cambodge, -Monsieur l'Ambassadeur de France, -Mesdames et Messieurs les membres de l'Assemblée nationale et du Sénat, -Mesdames, Messieurs, J'ai l'honneur et le plaisir de vous souhaiter la bienvenue au Ministère des Affaires étrangères et de la Coopération Internationale.

C'est avec une grande satisfaction que, sur la suggestion de Son Excellence Monsieur Jean-Claude Poimboeuf, Ambassadeur de France, nous célébrons ensemble un moment exceptionnel de l'histoire du Cambodge, de l'histoire de France et de l'histoire du monde. Et je me réjouis d'accueillir dans le cadre de cette célébration, M. Jacques Godfrain, ancien ministre de la République française et Président de la Fondation Charles de Gaulle.

En fait, il ne s'agit pas seulement d'histoire. Il s'agit aussi d'évoquer une personnalité hors du commun, un de ces géants qui laissent à jamais une trace que le flot des évènements ne saurait effacer. Charles de Gaulle fut un visionnaire. Il le fut à la fois parce que très vite, l'homme du 18 juin 1940 avait compris qu'il ne pouvait y avoir de victoire militaire contre un peuple déterminé. Il le fut aussi parce que, dans l'ordre des relations internationales, les principes énoncés le 1 septembre 1966 ont gardé, cinquante ans plus tard, toute leur pertinence.

Lorsqu'on relit le texte du discours de Phnom Penh prononcé par le Président français, on ne peut s'empêcher d'y trouver des propos qui raisonnent aujourd'hui avec une étonnante actualité. Certes, le contexte est différent puisque, fort heureusement, l'Asie du Sud-Est a cessé d'être le théâtre du déchaînement des horreurs de la guerre. Les bombardiers n'occupent plus le ciel des trois pays de l'ancienne Indochine française. Nos vertes rizières ne sont plus rougies du sang des combattants.

Mais l'Histoire nous apprend qu'au-delà des bouleversements qui affectent les peuples, il est des constantes dues aux contraintes permanentes de la géographie, du peuplement, des valeurs traditionnelles. Nul doute qu'un peuple ne peut survivre s'il n'est pas attaché au maintien de sa personnalité, de sa dignité, de son indépendance. Nous en savons quelque chose, nous les Khmers, qui avons vu disparaître près d'un tiers de notre population dans la tragédie des années soixante-dix.

Ce risque extrême, nos ancêtres le redoutaient déjà lorsqu'ils observaient un processus de démantèlement qui durait depuis plus de six siècles. Au milieu du 19e siècle, du grand empire angkorien de Jayavarman VII, il ne restait plus que quatre provinces et notre petit royaume était soumis à la double tutelle de ses deux voisins, le Siam et l'Annam. Le peuple khmer était en passe de se dissoudre dans deux Etats qui auraient eu le Mékong comme frontière commune. C'est alors que le Roi Ang Duong d'abord, le Roi Norodom Ier ensuite s'adressèrent à la France. Et nous devons à la protection de la France d'avoir enrayé le processus de démantèlement du royaume et d'avoir même rendu au territoire national trois provinces perdues avant son arrivée.

Ce passé est lourd d'enseignements. Pour un petit pays, au demeurant fort peu peuplé et entouré de puissants voisins, et qui plus est, situé au point de rencontre de courants philosophiques majeurs et, au XXe siècle, sur la ligne de fracture entre les deux grandes idéologies qui s'affrontaient alors, quelle attitude adopter autre que celle du non-alignement et de la neutralité quand on entend protéger sa personnalité et son indépendance dans la dignité ?

Ce fut le choix du Cambodge lorsque le Prince Norodom Sihanouk, notre regretté Roi-Père, participa en 1955 à Bandung à l'éclosion du mouvement des pays non alignés, lorsqu'il refusa d'entrer dans l'OTASE en 1956 et lorsqu'il fit adopter, l'année suivante, une loi proclamant la neutralité du pays.

Le choix de la neutralité, nous l'avons renouvelé dans notre Constitution de 1993, avec raison, puisqu'on a bien vu à quelle tragédie a conduit l'abandon de cette neutralité par les auteurs du coup d'Etat de 1970.

En 1966, le général de Gaulle s'adressant au Chef de l'Etat khmer déclarait "Votre pays parvenait à sauvegarder son corps et son âme parce qu'il restait maître chez lui". Aujourd'hui, c'est ce que nous nous efforçons de pratiquer. Notre diplomatie entend tenir le Cambodge en dehors des différends qui éclatent ici ou là. Nous avons fait le choix d'œuvrer à la paix et d'apporter nos bons offices pour rapprocher les points de vue, apaiser les tensions et prévenir les conflits. Nous ne pouvons nous payer le luxe de choisir un camp. Bien plus, nous affirmons avec force que personne ne peut exiger de nous que nous fassions des choix qui soient contraires à nos propres intérêts.

Cette conviction du rôle primordial et inaltérable de la nation dans les relations internationales avait incité le Président français, dès 1959, à déconseiller au Président des Etats-Unis de l'époque, le général Eisenhower, de poursuivre un engagement au Sud-Vietnam qui, pourtant, n'était alors que très modeste. Il avait réitéré ce conseil au Président Kennedy qui venait d'autoriser l'épandage de défoliants sur les forêts d'Indochine et ensuite au Président Johnson qui avait ordonné les bombardements sur le Nord-Vietnam, prédisant, des années avant la défaite américaine, que confrontée au sentiment national d'un peuple déterminé, la plus puissante armée du monde ne pouvait vaincre.

Cette vision planétaire du rôle prééminent de l'indépendance nationale dans les relations internationales s'était concrétisée deux ans avant la visite au Cambodge par l'établissement des relations diplomatiques entre Paris et Pékin. Cette vision, il la confirmait dans son discours de Phnom Penh en affirmant, je cite, "il n'y a aucune chance pour que les peuples de l'Asie se soumettent à la loi de l'étranger venu de l'autre rive du Pacifique, quelles que puissent être ses intentions". Des paroles qui, encore une fois, trouvent un écho aujourd'hui, alors que, de nouveau, on assiste à un déploiement considérable de forces militaires et que se met en place, une fois encore, une politique d'endiguement.

Je retiendrai surtout de ce discours historique, dont on dira par ailleurs le retentissement mondial, une phrase très courte, mais qui demeure plus que jamais comme un principe majeur des rapports entre Etats : "Il faut laisser les peuples disposer à leur façon de leur propre destin". Cette phrase raisonne aujourd'hui à nos oreilles comme un propos d'une brûlante actualité. Car, qui ne voit que la pratique de l'ingérence qui s'est généralisée à la faveur de la fin de la guerre froide, est à l'origine de conflits nouveaux et de bouleversements dangereux pour la paix du monde ?

On a vu, dans une période récente, se développer une doctrine politique dite du "changement de régime" et il s'en est suivi que des interventions militaires ont mis fin, en dehors de toute légalité internationale, à des régimes qui avaient cessé d'être utiles. Cela s'est vu en Irak et en Lybie. Il s'en est suivi également que des dirigeants démocratiquement élus ont été renversés au terme de révoltes provoquées de l'extérieur. Cela s'est vu au Honduras et en Ukraine.

Le droit des peuples à disposer d'eux-mêmes tel qu'il fut inscrit dans la Charte des Nations Unies, est, aujourd'hui, mis à mal en maintes occasions. Pour notre part, nous entendons le faire respecter. D'autant, et je tiens à le rappeler, qu'un des Accords sur le Cambodge signés à Paris en 1991 prescrit aux Etats signataires, je cite, de "s'abstenir de toute ingérence, sous quelque forme que ce soit, directe ou indirecte, dans les affaires intérieures du Cambodge".

On s'en rend compte, à travers les seules phrases du discours de Charles de Gaulle que j'ai rappelées, à quel point cet homme d'Etat, d'une envergure exceptionnelle, était un visionnaire. Ses propos d'hier doivent nous inspirer aujourd'hui. Ils portent en eux une conception des relations internationales qui transcende les évènements et les générations. Ils justifient pleinement que nous célébrions le jubilé de ce qui restera à jamais comme le "discours de Phnom Penh de Charles de Gaulle".

Je vous remercie de votre attention.